John-Salter-Peintre
John-Salter-Peintre

ART, ECONOMIE ET EROTISME
La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements, mais pour faire la guerre, offensive et défensive contre l'ennemi. Pablo Picasso


En quoi l'homme est-il différent des bêtes des champs, des forêts, des mers et du ciel?

Selon Marx(1) c'est dans son aptitude à créer artificiellement les capacités de toutes les autres bêtes. Il peut voler comme un oiseau, nager comme un poisson, courir comme un guépard, même peindre comme un coucher de soleil grâce à l'intervention d'artifices habilités à transcender le naturel. L'animal est limité par ses capacités naturelles qui contrôlent sa méthode de vie - son ECONOMIE - et aussi sa créativité - c'est à dire son ART - ainsi que sa reproduction - son EROTISME. L'homme peut posséder tout ce que possèdent les bêtes et encore plus, car par nature il est artificiel.

 

L'ECOMONIE des bêtes est transmise génétiquement et change peu et sur des milliers voire des millions d'années. L'adaptation à son milieu - qui frise la perfection - est modifiée par des ponctuelles mutations qui sont acceptées comme aptes ou rejetées par la sélection naturelle. Mais, si l'environnement change dramatiquement, la bête va disparaître. L'homme, par contre, a la capacité de s'adapter rapidement au changement. Il peut créer une nouvelle économie selon l'environnement dans lequel il se trouve. Erikson (2) donne des exemples d'adaptation variée vécue par des Indiens américains d'un seul groupe génétique: un tribu des prairies, chasseurs guerriers, et une autre tribu qui habitait sur la côte nord-ouest le long d'une rivière et qui pêchaient le saumon.

Pour les filles, les deux environnements demandaient plus ou moins la même chose: un comportement compatible avec leur futur rôle de mères et gardiennes des enfants de leur foyer. On leur apprenait, donc, à être calmes, souriantes, obéissantes, accommodantes, généreuses. Tout signe d'indépendance ou de mauvaise humeur était puni.

Le garçon chasseur devait être fier, courageux et féroce pour faire face au danger, généreux afin de partager avec toute la tribu le résultat de sa chasse, mais largement irresponsable comme acteur social, c‘est à dire peu soucieux de l‘avenir. Le jeune chasseur était, donc, encouragé à montrer sa colère, sa violence, son indépendance, sa volonté de dominer. Montrer de la peur, pleurer ses douleurs ou refuser de partager jouets ou nourriture était puni largement par l'humiliation. Il fallait un être prêt à mourir, mais qui pourrait amener sa proie fièrement et la partager avec tous, ce qui était essentiel pour la survie de sa tribu, car il était rare que tout le monde ait du succès à la chasse: mais tout le monde doit manger.

Le petit garçon pêcheur, par contre, devait apprendre à être calme, responsable, prévoyant, même égoïste. Il devait apprendre à planifier le produit de sa pêche sur toute l'année, alors que la période de pêche ne durait que le temps pendant lequel les saumons remontaient la rivière pour se reproduire. Il devait assurer la survie alimentaire de sa famille. Il ne lui était pas possible d'être généreux parce que c'eût été irresponsable. S‘il négligeait ses possessions, il était sévèrement puni. Il apprenait à stocker soigneusement ses précieux poissons pour que sa famille puisse survivre. Tous les hommes de la tribu avaient le même accès à cette abondance, donc, tous pouvaient remplir leurs réserves. Un homme irresponsable pouvait mettre en danger toutes les autres.

Ainsi, ces Indiens de même ethnie avaient-ils adapté leur vie sociale à l'économie nécessaire pour survivre dans chacun de leurs environnements. C'est ce qu'Erikson à démontré par cette étude sur leurs méthodes de socialisation de leurs enfants.

 

Quant à l‘ART des animaux, il n‘est reconnu que depuis peu. Mais, finalement c'était reconnu qu'il puissent être créatifs, si d'une façon assez limitée, côté intellectuel ou artificiel. Un des premiers signes de cette créativité est dans la création des outils où un oiseau peut utiliser une pierre pour casser une coquille et ou un morceau de bois devient artificiellement marteau pour un singe. Les possibilités de cet Art varient d'une espèce à une autre, mais n'approchent jamais les capacités de l'homme qui viennent de sa nature artificielle. Je crois que Pascal avait dit que chez l'homme, il n'y a aucun de acte qui soit naturel ou contre nature. Cet axiome va au-delà d'une idée religieuse des mœurs, en indiquant l'artificialité de l'homme. Car la nature de l'homme est de constamment créer et recréer ses capacités techniques par son Art qui existe au delà du naturel, et qui le transcende.

On peut subsumer toute créativité humaine sous l'idée de l'Art, parce que l'Art est la source de son humanité. Qu'il s'appelle Beethoven, Géricault, ou Einstein, il utilise les mêmes processus mentaux de l'artificialité. Ni la 9e symphonie, ni Le Radeau de la Méduse, ni la Théorie de la Relativité ne sont des choses naturelles. Cette dernière a introduit un changement du paradigme(3), de l'univers mécanique de Newton à l'univers relatif d'Einstein. Une explication où une théorie a été remplacée par une autre qui allait mieux servir dans notre essais du contrôle de l'univers physique, notre environnement. Ni l'une, ni l'autre ne sont une vérité naturelle, mais un façon pratique d'opérer dans notre environnement en le transcendant par l'Art-ificiel. De la même façon, le Radeau de la Méduse est une explication de l'essence de l'homme à son époque par le visuel ou l'Art Plastique, la 9e de Beethoven par le sonore ou la Musique, et la science opère dans le symbolisme abstrait la parole ou l'Ecriture. Or, les distinctions entre ces formes différentes de l'explication ne sont pas rigides. Elles sont toutes multi-disciplinaires : par exemple, dans la poésie il y a de la musique et même le visuel est invoqué. Musique et peinture se mêlent dans des morceaux qu'on appelle "colorés"; peinture et écriture se mêlent ou lorsque le romancier ou poète créent leur atmosphère par la description; le peintre fait souvent référence au symbolisme littéraire. La mention picturale d'un Persée ou d'un Héraclès, par exemple, évoque beaucoup plus qu'un simple esthétique de formes, de couleurs et de lignes. Toutes ces formes de créativité ont la même source: l'essence de l'homme et ses fonctions de spiritualité, d'intuition, de logique. Tout ce que l'homme a pu créer est issu de ces trois lieux de communication intellectuelle: la bouche, l‘oreille et l'œil, par lesquels l'être humain contrôle, par sa transcendance artificielle, son environnement. Ceci est facile à voir dans l'Ecriture où se situe la science, mais il est aussi vrai dans les autres Arts:

Par exemple, en examinant Le Radeau de la Méduse on peut trouver les grands problèmes et pensées de l'époque. On peut dire que c'est une peinture hégélienne. Un cri visuel contre le monde inquiétant, révolutionnaire du début du 19e siècle, un appel de l'homme en "anomie" (l'aliénation de Hegel(4)) à la sûreté d'un monde mieux réglé où les autorités sont justes et respectés. Le radeau est le noir de l'anomie, une condition où l'organisation sociale n'existe plus, où il n'y a aucune certitude, aucun espoir, sauf dans le sauvetage par un nouveau monde stable et rassurant. Il n'est pas sûr que le peintre lui-même ait pu faire cette exégèse de son œuvre, mais il a sûrement ressenti la nature de son époque et a voulu transmettre sa compréhension transcendantale par le visuel. C'est une compréhension non linguistique comme celle d'un jeune enfant qui reçoit ses connaissances par les émotions et les sens.

La même affirmation est vraie pour la 9e de Beethoven, une œuvre pleine d'espoir (à l'opposé de celle de Géricault), qui célèbre l'avènement d'un Ordre nouveau d'Europe et le triomphe annoncé des Bourgeois. En l'écoutant le peuple pourrait sentir son appartenance au pouvoir. Beethoven montre qu'il est une révolutionnaire, un homme qui parle à l‘humanité entière.


L'EROTISME, comme l'Art, est plus puissant chez les hommes que chez les bêtes où il est plutôt rythmé par les saisons de reproduction sexuelle. L'homme a perdu son rapport à la nature, donc, au rythme des saisons, et même si les cycles de menstruation existent, ils ont très peu d'effet sur le comportement érotique humain. L'activité érotique chez les hommes, comme chez certains singes, eux aussi assez haut dans l'échelle évolutionniste, à l'effet de renforcer les liens sociaux ou, en un autre langage, recharger les batteries de l'amour. L'érotisme est une présence constante chez l'homme: depuis la sensualité dite pré sexuelle de l'enfant, en passant par la sexualité de l'adulte, jusqu'à la sensualité chez les très vieux. A tout moment, on est comme des casseroles sur feu doux. Que le feu augmente, et la pulsion deviendra de plus en plus puissante pour finir incontrôlable. Au niveau de base l'humain est sexuel comme les animaux, mais l'homme a pu marier tout ça grâce à l'Art. La beauté qui le tire vers son plaisir est aussi dans le fond de son Art. Alors que cette pulsion est un simple mécanisme de reproduction chez l'animal, elle est, chez l'homme, profondément reliée à ses autres activités artificielles. L'Erotisme est une puissante source de célébration d'une spiritualité profane et rentre très peu dans le sacré chrétien, sauf peut-être pour certains hystériques en extase. Dans l'amour, il y a toujours de la sensualité - on ne peut pas en sentir sans la sentir! On peut voir, particulièrement dans les promulgations du Pape actuel, l'importance que l'Eglise donne à ce phénomène. Tout son discours n'est que fulminations contre une soi-disant sexualité libérale, alors que parallèlement il fait des appels à l'amour. Mais l'amour puritain de St. Paul, l'amour qui condamne la sexualité aux abîmes, qui voit dans la femelle la condition de la déchéance du mâle, cet amour-là, cette invention platonique, un accident dans la recherche vers le monothéisme, est un paradigme déchu, depuis longtemps transcendé par le Humanisme. Or, cette vue rétrograde de la sexualité et de l'amour est à son plus fort à l'autre côté de l'Atlantique du nord que chez nous, pas seulement dans les nouvelles églises fondamentalistes et intégristes, mais aussi parmi la population non-croyante. Il y a, en ce moment, un retour grandissant aux moeurs de mon enfance où tout ce qui était plaisir était nécessairement pêché, mais cette fois la motivation est différente.

Les vertus puritaines du passé ont été imposées par les bourgeois productifs, qui voulaient protéger leur patrimoine en empêchant leurs enfants de le dilapider dans la recherche des plaisirs terrestres. Presque tout le monde, je crois, doit être familier avec l'argumentation de Max Weber à propos de l'esprit du capitalisme (5). Le ré-investissement du capital, essentiel pour le progrès économique, a pu être assuré par une religion chrétienne qui trouvait dans le succès de l'homme dans ses besognes, le signe de sa grâce et , donc, son élection. L'homme soucieux d'investir sa richesse, plutôt que la dépenser, était assuré de son progrès économique en même temps que de sa place au Ciel.

Cette éthique a plus ou moins dominé le Monde Moderne. Mais après la deuxième guerre mondiale, le Monde Post-Moderne est apparu: ce monde des financiers où est accompli l'abstraction de l'abstrait.

Pour que ce capitalisme prospère, il fallait instituer la théorie d'un capital fondé sur la propriété privée, les banques d'investissement et finalement la Bourse. Exit les pièces d'or d'une économie marchande échangiste, avec la création d'un objet, la monnaie complètement abstraite, sans aucune valeur intrinsèque, qui représentait l'activité productive de l'entrepreneur et la propriété qu‘il a donc créé. En Angleterre Locke(6) au 17e siècle, a justifié la propriété privée en disant: si un travailleur a utilisé une matière première naturelle, qui n'appartenait à personne, et l'a transformée en objet (un arbre devenu une chaise) cet objet lui appartenait tout aussi naturellement. Quand il a pris des terres sauvages et les a transformées en fermes prospères, les fermes, par la même loi "naturelle", sont également à lui. Donc, par la pratique de ces nouvelles idées économiques et financières tout a été capitalisé. L'idéal médiéval de partages des terres (tenues au nom du roi du droit divin, et cultivées pour le bienfaisance de tout le monde par ses nobles) a, donc, disparu.

Aujourd'hui, cette relation entre l'argent et la production, essentiel au capitalisme "primitif" a, à son tour, disparu. L'argent est devenu un artefact en lui-même, d'être manipulé par les financiers spéculateurs, sans relation nécessaire avec la valeur réelle de ce qu'il est supposé représenter par la médiation des actions. L'exemple récent est celui des "subprimes", où un gros risque financier a été prétendument traduit en valeurs sûres par la manipulation du marché financier, jusqu'à l'effondrement de confiance parmi les spéculateurs. Parce que le marché est devenu si complexe et abstrait, parce que la relation entre les actions et un objet de valeur réelle est tellement obscure, il y a eu un effondrement total du système financier et la valeur de toute action a largement disparu sans aucune relation avec la santé de l'activité économique que ceux-ci représentait.

Notre économie sociale est dans un état similaire. L'individualisme règne sans référence à la base réelle de notre société: la solidarité. Tout devient jugé en termes de cette double abstraction de l'argent sans référence a une vraie valeur. En nous envahissant de la Ouest, les valeurs "fric-seules" commencent à nous engloutir: nos protections sociales, notre solidarité, s'effritent une par une. Ces protections ont été originalement créés après la Deuxième Guerre Mondiale pour assurer le bonheur et la santé de ceux qui produisent et qui créent de vraies valeurs, pour qu'ils puissent continuer à le faire. Or, actuellement, tout le monde commence à être jugé seulement par son argent. Les services sociaux cessent d'être des services mais deviennent des machines à sous.

Tout doit être rentable. Le nouveau puritanisme est le puritanisme de l'argent qui salit tout. L'amour, qui n'est pas rentable, est méprisé. L'Erotisme, donc, devient sale. Les Américains du Nord, créateurs de ce monde, sont plus choqués par un Président qui a eu une fellation dans son bureau, par un directeur du FMI qui a eu un maîtresse ou par une adulte qui touche à un enfant, ou même un enfant qui touche un enfant, que par les vols financiers obscènes, le sort des millions d‘affamés, les guerres basées sur des mensonges et qui ne résoudrent rien, ou par le massacre de la forêt amazonienne, le poumon du monde, par le Big Business. L'homme a perdu sa route. Il ne crée plus. Ils ne coopère plus avec le voisin. Chacun veut gagner les abstrait millions millions pour lui seul.

Nous sommes dans une situation de grande aliénation, où nous avons oublié notre destin humain qui est d'être des créateurs solidaires pour devenir les esclaves d'une de nos inventions: l'argent. Doublement abstrait, divorcé de sa valeur d'origine, l'objet de notre création est devenu le sujet et nous ses objets. Nous sommes soumis au règne financier, objets d'une logique folle de spéculation. Le monde est sur la tête! Et plutôt que d'adapter notre économie à notre environnement, la Planète Terre, nous cherchons de la détruire par nos misérables individualismes qui se moquent d'autrui.

 

 

Et les Arts Plastiques n'échappent pas à cette plaie:

J'ai travaillé comme peintre à Londres dans les années soixante. Comme tous les jeunes peintres de l'époque, j'étais excité par ce qui s'est passé dans le monde de la peinture depuis la fin du 19e siècle. Le peintre s'est débarrassé d'un académisme terne et fatigué et a commencé d'explorer le monde visuel d'une façon imitant les scientifiques. On examinait la nature des couleurs, des formes, des lignes, des émotions. On cherchait une nouvelle expression sans s'encombrer d'un passé hyper figuratif. Le photographe a pris la place du peintre comme copieur de la nature. On obtint deux résultats majeurs: d'une part on s'est perdu dans un réductionnisme pseudo scientifique avec la recherche d'un progrès inexistant; d'autre part, certains ont commencé à prendre conscience de la vraie tâche d'un artiste: être engagé pour le sort de l'humanité

A Londres je cherchais mon style. J'ai expérimenté toutes les tendances, les modes et les styles des autres. Etais-je un Picasso, un Matisse, un Kandinsky, un Klee, un Pollock ou un Mondrian? Plus je cherchais, le plus je me perdais. Finalement, je ne trouvais aucun plaisir dans l'abstrait (fortement recommandé à l'époque) ni dans le Pop Art (trop superficiel) et me retrouvais, il me semble, dans un mélange d'expressionnisme, et de surréalisme, seul avec la nature, où je me trouve toujours. J'ai trouvé, à l'époque, sans conscience formelle au début, que le "progrès" n'existait pas dans les Arts Plastiques. Par exemple, en quoi Michel-Ange a-t-il amélioré la sculpture antique des Grecs, comme celle de Praxitèle? En quoi Rodin a-t-il fait progresser la sculpture de Michel-Ange? la réponse doit être: en rien. Les différences dans cet Art là est entre des individus artistes et leur analyse de leur environnement humain. Comme dans tous les Arts, certains sont plus brillants que d'autres. S'il y a un mouvement il est à l'échelle de l'évolution, des mutations d'adaptation. Mais on ne voit pas ça sur quelques milliers d'années. Non, chaque artiste est là pour donner le message de son humanité, sa transcendance de la nature à laquelle il doit toujours faire référence, sa capacité de créer l'artificiel par ses objets (artistique, économique et érotique). Il doit être engagé, si non, il n'est qu'un décorateur. Il y a eu des "progrès" techniques, certes (par exemple, l'introduction de la peinture à huile) qui ont simplement facilité l'expression mais sans la changer. Les expérimentations actuelles, avec les ordures comprimées, la buse de buffle, n'importe quel objet trouvé, sont surtout les dégradations techniques qui ne servent à rien que d'être différents des précédents.

Quand j'ai commencé à comprendre la nature non progressive des Art Plastiques, je me sentais vraiment seul. Partout autour de moi l'abstrait cherchait à devenir plus abstrait jusqu'au néant, et le Pop Art se trouvait dans le Conceptualisme, un autre néant! Par la trivialité. Le réductionnisme avait atteint son apogée prétentieux en se trouvant dans le vide visuel complet: juste comme l‘argent!.

En même temps l' "Art Market" s'envolait. Aujourd'hui, quelques maladroites taches de couleur, ou un faible plaisanterie dada, de pauvres bêtes préservées en formaldéhyde, se vendent pour des millions. L'Art est devenu une abstraction de lui-même, tout comme l'argent, sans autre valeur que celle décrétée par les spéculateurs.

On a constaté la disparition de la transcendance de la peinture par sa propre abstraction, c'est à dire son aliénation. Graduellement et inévitablement on a tout "abstraitisé" de notre artifice visuel en essayant d'être "pur". C'est à dire en créant l'Art pour l'Art sans aucune vulgaire référence à la nature (humaine ou autre). Pendant plus d'une centaine d'années la peinture a progressivement été vidée de sa substance. Elle a oublié son rôle fondamental: transcender la nature par la création d‘un artefact de critique ou de célébration. Si la science peut-être pure, pourquoi pas l'Art? s'est-on demandé. Or la pureté de la science est un mythe aussi, un autre snobisme intellectuel. Même les recherches mathématiques les plus abstruses font finalement référence à la nature qu'elle essaient de transcender et contrôler par l'invention des outils, des artefacts intellectuels, de plus en plus sophistiqués. Mais est-ce un progrès autrement que technique? L'homme reste la même bête qu'avant, violent et orgueilleux, beau et brillant, sauver de l'auto destruction seulement par l'intervention de son Art son exégèse de soi.

Léonard de Vinci a dit:
« Comment d'âge en âge, l'art de la peinture va déclinant et se perdant, lorsque les peintres n'ont pour modèle que la peinture de leurs prédécesseurs : Le peintre produira des tableaux de peu de mérite s'il s'inspire de l'ouvrage d'autrui; mais qu'il se tourne vers la nature, il obtiendra un bon résultat ».(7)

La peinture, comme la science, comme tout Art, n'existerait pas sans référence à la nature. La dérive des Arts Plastiques pendant ces plus de cent ans est le fait de l'orgueil démesuré de l'homme qui se pense tellement puissant qu'il peut exister hors environnement, en état pur. Il a oublié sa propre nature qui est son corps, son sexe, son cerveau, et surtout et nécessairement sa relation avec autrui dans l'économie sociale. La peinture a été la victime de l'individualisme destructeur avec son puritanisme et son sans valeur, sa soi-disant objectivité. En 1971 je me sentais perdu et je n'ai presque pas touché aux pinceaux jusqu'à l'année de ma retraite en 2000. Je suis devenu sociologue puis historien. Je suis venu en France comme un échappé du monde asocial et individualiste de Margaret Thatcher, qui n'aimait pas le sociologue et qui a piqué mon travail. Finalement, je suis revenu à la peinture parce que je sentais un changement de climat culturel. Le néant continuait à régner, mais il y avait des murmures, surtout chez les jeunes. Et j'attends avec confiance le jour, qui va bientôt arriver, de voir le krach du marché de l'Art, le jour où qu'un jeune affirmera que "le roi est nu", et les spéculateurs paniquent.

A ce moment-là le peintre peut retrouver sa place comme défenseur de la célébration, de la beauté, de l'environnement, des peuples, des bêtes et des paysages, comme pourfendeur de la cruauté et de l'ignorance, par la transcendance du naturel, qui est son Art. Mais surtout il doit combattre son grand ennemi, le néant, le Puritanisme. Il doit redevenir le grand artisan sensuel qu'il était autrefois, et oublier cet être prétentieux de l'abstraction, cet Artiste Pur, qu'il prétend être aujourd'hui.


(1) Marx : "The Economic and Philosphic Manuscripts of 1844" Trans. Milligan M., International Publishers, New York.

(2) Erikson E. H. : "Childhood and Society", Penguin Middx. 1951

(3) Kuhn T. S. : "The Structure of Scientific Revolutions", 2nd Edit enlarged, University of Chicago Press 1970.

(4) Hegel J. W. F. : "The Phenomenology of Mind" Trans Baillie J. B., 2nd Edit revised, Macmillan New York.
En traduisant "l'aliénation" de Hegel en "l'anomie" de Durkheim(i), j'ai voulu éviter un confusion avec celle de Marx que j'utilise plus tard, ou l'aliénation n'est pas d'être perdu et sans repère social, mais d'être dominé par ses propre objets, être trop encadré, étant devenu esclave d'un système.
(i) Durkheim E. : "Suicide: a Study in Sociology", Trans Splding J. A. & Simpson G., Routledge, Kegan and Paul, London 1970

(5) Weber M. : "The Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism", Unwin University books, London 1968

(6) Locke J. "Two Treatises of Gouvernment", J. M. Dent & Sons Ltd. 1988